Héroine
Études de cas chez de jeunes patientes utilisant des drogues dures
Le rôle de tout thérapeute est de donner ou de redonner l’envie de vivre à ses patients, mais dans le cas présent, comme Pénélope, le thérapeute/sophrologue tisse et retisse inlassablement le même travail d’espoir et d’échec.
Dans le cas de mes patientes, l’urgence impérative était de les comprendre, de ne pas les juger; de construire ou rebâtir ensemble grâce au fil d’Ariane et à la toile de Pénélope, tissant la symbolique, l’imaginaire et le réel qui leur permettront de sortir de la caverne noire de Platon, afin d’atteindre le labyrinthe lumineux de la vie.
En psychothérapie classique orthodoxe, les résultats du traitement sont, dans le cas de l’héroïne, les suivants : pour dix patients, (le résultat est de un pour dix) après une abstinence absolue de trois ans, nous pouvons supposer que le patient est sorti de l’accoutumance.
J’espérais qu’avec la sophrothérapie les résultats seraient plus rapides et surtout plus positifs.
Actuellement, avec le recul, je peux dire que les résultats sont globalement positifs mais encore assez décevants.
Le bilan de cette recherche sur 30 patientes se présente de la façon suivante : cinq patientes sont totalement libérées de leur dépendance, 25 patientes présentent une légère amélioration passagère.
Elles sont encore dans cette route sinueuse de l’espoir et de la dépendance. C’est donc un échec thérapeutique. Nous analyserons plus tard les causes de cet échec.
Le cas Eva
Eva est une jeune fille suédoise de 19 ans, blonde, mesurant 1,78, mannequin top-model dans une maison de couture, sans aucun signe de souffrance physique et psychologique apparent.
A notre première rencontre je suis frappé par son sourire étincelant, bien dessinée, par la nature ou la chirurgie ?
Eva est longiligne. Son corps respire encore le bonheur, la joie et le plaisir.
Quelle surprise de voir cette créature sortant directement d’une publicité pour dentifrice, tellement différente des idées reçues au sujet des droguées!
L’anamnèse au niveau des parents montre une mère possessive et jalouse mais aussi gentille et adorable.
Elle a des réactions névrotiques normales de mère, mais qui empêchent malgré tout sa fille de vivre librement.
Sur-protectrice : «attention à ne pas prendre froid»…
Le père diplomate, possessif et indifférent mais directif pour sa fille, au point de vouloir choisir son futur mari.
La sœur a une jalousie normale, banale. Quant aux frères, c’est plus compliqué. Ils sont jaloux d’elle, ils ne se trouvent pas beaux. Côté magique du corps, ils se sentent trop grands. Elle constitue un faire valoir pour le père, les frères, ils la sortent comme un objet. Dans son enfance, entre 4 et 6 ans, elle a la phobie des loups, peur des vaches et des araignées. Son adolescence a été heureuse mais triste. Elle aimait manger mais se faisait vomir (début d’anorexie mentale 5 ans).
A 16/17 ans commence la dépendance à la cigarette (Prince chez elle en Suède). Alcool, LSD, héroïne viendront plus tard.
Trop belle pour être séduite, elle faisait peur aux garçons.
Lors des soirées, n’ayant pas de contact elle buvait de la bière danoise.
Sa vie sexuelle se réduisait à très peu d’actes érotiques.
Déplacement du plaisir : dégoût de ce corps plein de vide.
La drogue lui permet d’avoir une sensation érotique qu’elle n’a pas autrement !
Ce n’est pas la société mais elle qui est responsable de cette difficulté à vivre.
Elle ne correspond à aucun cliché.
Elle ne montre ni animosité ni agressivité mais une pseudo-acceptation de tout, chose rare.
Elle est pratiquement la seule à venir régulièrement à heure fixe à l’hôpital (respect de l’autre en tant que thérapeute).
Elle était aussi très affective, faisait souvent des petits cadeaux.
Elle dépensait énormément pour elle, sa famille et ses amies.
Elle avait suivi plusieurs cures de désintoxication.
Elle n’avait pas d’activité particulière à part son travail de mannequin.
Elle n’avait pas de plaisir, pas d’envie, aucune prise sur la réalité (dite normale).
Un jour, surprise! Elle me présente son boy-friend, très sympathique et… futur diplomate comme son père.
C’est l’une des rares femmes toxicomanes à ne pas vendre de drogue pour en avoir pour elle. La plupart se prostituent et volent.
Elle a, malgré la drogue des mécanismes de défense assez forts, elle ne présente pas de trouble de la conscience, ni de la personnalité. L’héroïne ne lui a jamais occasionné de douleurs excessives; elle prenait parfois des médicaments pour la douleur.
L’héroïne ne lui procurait plus ni plaisir ni excitation ni joie.
Même dans la drogue elle n’était pas très impliquée.
Les autres jeunes droguées étaient souvent déprimées, tristes, sales, etc…
Alors qu’Eva restait clean dans son caractère lointain, éprise d’absolu.
Elle continuait à travailler même dans la douleur (un narcissisme sain compte beaucoup pour elle : toujours être bien coiffée, bien maquillée).
A l’inverse elle n’a jamais fait preuve d’exhibitionnisme, jamais apporté ses photos de magazines, revues spécialisées de prestige international.
Elle a aujourd’hui 25 ans travaille toujours comme top-model dans une grande maison de couture ne se drogue plus et vient de terminer ses derniers examens avec succès à la Sorbonne.
C’est la prise en charge la plus heureuse de cette démarche thérapeutique.
Elle se marie.
A suivre…
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Le cas Laura ‑ Échec de la prise en charge de sophrothérapie.
Anamnèse : Ses parents vivent actuellement à M.
Père : Paul, marié trois fois, alcoolique, dépressif. Refus du traitement médical. Structure maniaco-dépressive, avec actes de violence sur son épouse et sa fille. Mère : Rose, mariée deux fois. Sans profession. Agressive, autoritaire, anxieuse. Ses deux anciens maris décédés ont une structure psychologique identique.
Autres antécédents familiaux : plusieurs cas de maladies psychosomatiques: suicides, cancers, morts accidentelles, hospitalisations en psychiatrie.
Laura, fille unique, née à l’étranger.
Hospitalisation pendant six mois à l’hôpital de B. pour appendicite aigüe problèmes médicaux graves inexpliqués : infection à répétition et septicémie.
Laura se présente comme une petite fille à problèmes multiples durant toute son enfance, son adolescence et sa vie de femme. Retard scolaire. Elle a sept ans. Cauchemars, angoisse, énurésie secondaire.
Très mal latéralisée. Incapable d’écrire son nom correctement. Troubles du comportement. Agressive envers ses petits camarades.
Rejet de l’école. Dix ans. Échec scolaire complet.
Refus d’aller à l’école, qui va se concrétiser par un accident de vélo en Italie, très grave, où elle présentera plusieurs fractures du bras droit, de la jambe droite, et de l’articulation du pied: calcanéum brisé. Début de l’anorexie mentale.
15 ans, fugue, pour vivre avec un jeune drogué.
Début du rêve au fond de la mort et de la vie.
Son jeune compagnon, tunisien de 30 ans, peintre, vit en Italie avec son frère, sa sœur et ses trois cousins.
Toute la famille est droguée. Laura commence pour la première fois son entrée dans le monde de l’héroïne pas comme un conte de fées, mais malheureusement comme un conte tragique de la vie.
Retour en France, chez ses parents, qui refusent de la recevoir, après la fugue.
Elle va donc vivre à Lille chez sa grand-mère paternelle par alliance, avec qui elle avait un très bon contact.
Début de la prise en charge à l’hôpital en sophrothérapie, à raison de deux séances par semaine.
Amélioration nette de son état de santé. Parait sortie d’affaire.
Sort de l’Hôpital Ste Anne. La prise en charge continue, en privé.
2 ans plus tard rechute, à la suite d’une rupture sentimentale avec une jeune femme homosexuelle, qui vivait par ailleurs avec une autre femme de vingt ans sa cadette.
Rupture de la prise en charge. Absente, malade. Vient de temps en temps, à des rendez-vous qui ne sont pas les siens, et continue à se droguer. Pour se procurer ce plaisir sans limite, elle revendra de la drogue elle-ême.
Rechute en février, à la suite d’un problème banal. Rencontre un jeune comédien africain, musicien de rap, qui prendra le rôle du premier amant tunisien (italien), puis vagabondage sexuel. Très vite, son état physique et psychologique vont s’aggraver. Elle reviendra me voir pour reprendre contact et faire une cure supplémentaire de sophrothérapie, qui donnait de bons résultats, selon ses dires. Avril : début de la xème cure de sophrothérapie…
Abstinence quasi totale de la drogue, et chose miraculeuse, elle cherche un travail. Trouve un contrat dans un restaurant, où elle rencontrera un jeune étudiant en pharmacie, d’origine allemande, qui termine ses études à Paris.
Je pense, une fois de plus, que les nuages noirs de la drogue se sont éloignés, et qu’elle va enfin vivre une vie plus ou moins saine. Malheureusement, compte tenu de sa logique d’échec, quelques mois plus tard elle commettra un larcin dans la pharmacie du père de son ami. Échec total de la prise en charge de Laura.
Après plusieurs espoirs sans cesse renouvelés, cette jeune fille retombera malheureusement dans la drogue. Le travail de sophrothérapie continue.
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Conclusion:
Le bilan de cette recherche est en demi-teinte, rose et noir par rapport aux troubles graves de ce fléau mondial.
La toxicomanie qui augmente de plus en plus.
Ce bilan amer n’est pourtant pas négatif pour moi, le travail continue en sophrothérapie.
Je crois toujours à la psychothérapie, à la sophrothérapie et reste fidèle à la psychanalyse, mais le grand mérite de cette sophrothérapie est l’écoute complète et totale du corps, de l’inconscient, de la souffrance et du reste, dans le long terme et, surtout, une positivation optimale chez nos patientes, afin de leur permettre de réduire les crises et aussi de calmer les douleurs corporelles, d’augmenter également si possible la prise sur le processus de long remaniement des symptômes.
L’échec thérapeutique signe pour moi la rupture d’un maillon de la chaîne de la confiance et du transfert pour ces malades atteints dans leur être complet.
Pourquoi se droguent-elles ?
Comment leurs vies vont-elles glisser, s’engloutir dans des ghettos répétitifs mortifères ?
Quel destin auront-elles ?
Le mystère reste entier, suicide ou tragédie pour survivre, drame de la société, en tout cas.
La toxicomanie est une prothèse, la toxico-prothèse des manques corporels et psychiques de nos malades.
Il ne suffit pas d’enlever cette prothèse pour permettre à nos jeunes patientes d’agir et de vivre.
«Toutes celles qui croient entrer dans le temple du bonheur par la porte du plaisir achètent ce bonheur d’un moment au prix de leur vie».
La sophrothérapie reste pour elle une lumière d’espoir qui ne doit pas s’éteindre.
Théodore-Yves NASSÉ – Psychanalyste – Sophrologue – Psychologue clinicien