Drogue : une écoute complète du corps et de l’âme
De tous temps les hommes ont eu recours aux stimulants: alcools, aphrodisiaques, drogues, médicaments, cocktails multiformes et fantasmatiques les plus complexes.
Le quatuor infernal « Opium, cocaïne, morphine, héroïne » donne un récital de requiem depuis plusieurs siècles.
Friedrich Wilhelm Sertumer, pharmacien allemand, fit dans le cadre de recherches de chimie végétale une analyse assez complète de l’opium vers 1805 et prépara la découverte de la morphine en 1806.
En ce qui concerne l’héroïne, cette poudre blanche médicamenteuse, stupéfiant succédané de la morphine, de structure cristalline, elle est employée comme calmant, sous forme de chlorhydrate d’héroïne.
Plus tard, les pilules d’héroïne remplaceront en Extrême Orient les boulettes d’opium dans la pipe du pauvre.
« La plante divine »
La Coca, la plus connue de Sigmund Freud, botaniquement Erythroxylon coca, est un buisson svelte, souple et assez haut, ressemblant au prunelier chinois. Ses fines petites feuilles blanches, sont ovales et courbes de 5 à 7 cm, pétiolées et pruineuses.
L’Erythroxylon coca produit des fruits rouges, il donne quatre à cinq récoltes par an quels que soient le temps et la saison et reste très productif pendant 30 à 40 ans. Les lieux privilégiés où elle pousse sont la Bolivie, le Pérou, la Colombie et actuellement la Californie.
Les Indiens transportaient toujours en voyage un petit sac rempli de feuilles de coca ainsi qu’une petite bouteille contenant des cendres de la feuille. Encore aujourd’hui lorsque la fatigue ou la faim les tracasse, ils fabriquent un mélange savant réduisant les feuilles en bouchées qu’ils perforent à plusieurs reprises, au moyen d’une petite pointe trempée dans la fameuse cendre, ensuite ils mâchent lentement les feuilles et consomment cet aliment pour continuer le voyage ou le travail. Lorsque les Espagnols conquirent le Pérou, ils découvrirent les cultures de coca, surtout liées aux coutumes magico-religieuses de ce pays.
Les Espagnols ne croyaient pas aux vertus prodigieuses de cette plante.
Toutefois, ils changèrent d’attitude, dès qu’ils remarquèrent que les Indiens travaillaient beaucoup plus longtemps dans les mines.
Ils se mirent alors à distribuer aux travailleurs des petites feuilles de coca, trois à cinq fois par jour.
Dans ce quatuor d’illusions, ou générateur de phantasmes, qui donne un sentiment de rêves ou de réalité éphémère, je choisirai, de vous parler exclusivement de l’une d’elle l’héroïne.
Si Icare avait cru son père Dédale, il aurait craint Helios.
Il semble que dans la drogue, nos jeunes patients commettent la même bêtise.
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La psychanalyse et la sophrologie parlent rarement de la drogue et des toxicomanies.
En ce qui concerne la cocaïne, on sait les rapports ambigus que le père de la psychanalyse tissera avec elle, au point d’en être ensorcelé.
Sigmund Freud fut l’un des premiers chercheurs à évaluer scientifiquement les effets de la cocaïne sur lui-même.
Il avait focalisé l’intérêt de cette drogue sur sa dimension d’euphorisant et, comme on le dirait de nos jours, d’eugrégorique, plaidoirie malencontreuse en faveur de la cocaïne qu’il présentait comme une panacée médicale sans aucun danger ; on sait que l’histoire retiendra son pouvoir d’anesthésique local.
Freud fut séduit par la plante et par sa structure moléculaire particulière.
En effet, la cocaïne se cristallise en grands prismes incolores de 4 à 6 facettes. Elle fond à 98° et se dissout très difficilement dans l’eau mais par contre facilement dans l’alcool.
Freud prescrit de la cocaïne même à Martha, l’éternelle fiancée.
Son collègue, le Docteur Koller, en recommande l’utilisation générale comme anesthésique local dans l’opération de la cataracte, les affections du nez, du larynx et de la gorge et même en gynécologie pour calmer la douleur.
Il se verra attribuer la découverte du rôle médical de la cocaïne.
Un ami proche de Freud, l’excellent physiologiste Ernest Von Fleisch-Niarxow (1846-1891) souffrait d’une tumeur douloureuse à la main et prenait de la morphine depuis plusieurs années.
Intoxiqué à la morphine il essayera la cocaïne, selon Freud sans danger.
Finalement, devenu intoxiqué et incurable, il en mourut.
Après ce rapide survol historique, passons maintenant à la clinique : l’utilisation de l’héroïne, chez mes 30 patientes âgées de 18 à 25 ans.
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L’approche psychopathologique
Pour les jeunes, la prise régulière est synonyme d’acceptation de la mort « jeu et je », entre Eros et Thanatos, suicide ou encore mise en acte de la tragédie de la survie. Nous savons que Freud était un grand fumeur de cigares, sa moyenne étant de 20 cigares par jour. Nous pourrions parler de rituel indispensable pour lui, de toxicomanie, puisqu’il y a eu accoutumance comme chez mes patientes toxicomanes.
Pour Freud et Glover, la drogue représente la situation psychologique suivante : au lieu du plaisir génital, apparaît le plaisir pharmacogénique qui devient progressivement le but sexuel du patient. Il s’établit une organisation sexuelle de remplacement artificielle, auto-érotique et modelée sur la masturbation infantile fantasmée.
Selon Glover, le principal fantasme des toxicomanes femmes représente un télescopage de deux systèmes primaires. Dans le premier, l’enfant détruit, puis restaure l’intérieur des organes du corps de sa mère. Dans le deuxième, c’est la mère qui attaque et restaure l’intérieur du corps de l’enfant.
Le drogué devient une identité reconnue à deux avec le sophrologue dans une exploration du monde intérieur et extérieur de la faiblesse et de la honte.
Les autres approches psychopathologiques sont signalées dans l’ouvrage récent de Ferbos et Magoudi.
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La sophrothérapie
La sophrothérapie est une technique originale qui permet au patient de devenir autonome, authentique et responsable, sûr de lui-même, en restant dans le cadre de la sophrologie classique et n’ayant pas, en principe, les handicaps du transfert direct, condition sine qua non d’une cure d’analyse.
La sophrothérapie faite par un sophrologue analyste, amène toutes les qualités de succès dans cette approche délicate de médiation psychothérapique. Cela ne s’oppose en rien à la sophrologie, tout en n’étant pas l’opposé de la psychanalyse, mais très différente de celle-ci.
Elle s’approche de la sophromnésie analytique sur un bon training de relaxation.
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La sophrothérapie associe sept fonctions fondamentales :
- Le bon sens
- Le rationnel
- L’intuition
- Le sensoriel
- Le réel
- Le spirituel
- L’imaginaire
Voilà en résumé, la technique de sophrothérapie utilisée en clinique quotidienne.
Le rôle de tout thérapeute est de donner ou de redonner l’envie de « vivre » à ses patients, mais dans le cas présent, comme Pénélope, le thérapeute-sophrologue tisse et retisse inlassablement le même travail d’espoir et d’échec.
Dans le cas de mes patients, l’urgence impérative est de les comprendre, de ne pas les juger, de construire ou rebâtir ensemble grâce au fil d’Ariane et à la toile de Pénélope, tissant la symbolique, l’imaginaire et le réel qui leur permettent de sortir de la caverne noire de Platon, afin d’atteindre le labyrinthe lumineux de la vie.
Actuellement, avec le recul de 5 ans, je peux dire que les résultats sont en demi-teintes. Le bilan de cette recherche sur les 30 patientes se présente de la façon suivante : 5 patientes sont totalement libérées de cette dépendance, 25 présentent une légère amélioration mais elles rechutent. Elle sont encore dans cette route sinueuse de l’espoir et de la dépendance. C’est donc un échec thérapeutique.
La toxicomanie est en progression constante depuis 1982. Je crois toujours à la psychothérapie, à la sophrothérapie et reste fidèle à la psychanalyse, mais le grand mérite de cette sophrothérapie est l’écoute complète et totale du corps, de l’inconscient, de la souffrance et du reste, dans le long terme et, surtout, une positivation optimale chez nos patients, leur permettant de réduire les crises et aussi de calmer les douleurs corporelles et d’augmenter si possible la prise sur le processus d’un long remaniement des symptômes.
L’alliance sophronique et le transfert vont potentialiser le succès. La vraie face de la sophrologie n’est pas exclusivement la guérison mais la diminution de l’angoisse, la baisse de l’anxiété et la disparition progressive des symptômes.
L’échec thérapeutique signe pour moi la rupture d’un maillon de la chaîne de la confiance et du transfert pour ces malades atteints dans leur être complet.
Pourquoi se droguent-ils ?
Comment leurs vies vont-elles glisser, s’engloutir dans des ghettos répétitifs mortifères ?
Quel destin auront-ils ?
Le mystère reste entier, suicide ou tragédie pour survivre, drame de la société, en tout cas.
Ce dialogue entre le sophrologue-psychanalyste et son patient, entre ces deux attitudes existentielles, vitales quant à moi, s’avère être l’indispensable levain qui assurera la continuité, la créativité de la sophrothérapie existentielle-analytique.
« Tous ceux qui croient entrer dans le temple du bonheur par la porte du plaisir achètent ce bonheur d’un moment au prix de leur vie » (Lewin).
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Théodore-Yves NASSÉ – Psychanalyste – Sophrologue – Psychologue clinicien